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Voyage à Huay Pu Keng Le village aux cinq ethnies

 

Maprang

Situé dans la province montagneuse de Mae Hong son au Nord-Ouest de la Thaïlande, le village de Huay Pu Keng se découvre en pirogue au détour d’un méandre en descendant la rivière Paï un affluent du fleuve Salouen qui traverse la Birmanie toute proche. Cinq ethnies, toutes venues de Birmanie,  y ont trouvé refuge dont les célèbres Kayan surnommées les femmes-girafes et Padaung en Birmanie. Plusieurs villages touristiques autour de Mae Hong son où elles sont « parquées », permettent de les photographier comme dans un zoo. Pour se démarquer de ce tourisme voyeur, il faut passer du temps sur place en logeant chez l’habitant permettant des échanges approfondis. Une ONG néerlandaise, Fair tourism, propose une expérience interactive : des familles accueillent à tour de rôle pour une ou deux nuits, des visiteurs étrangers. En fin de journée, quand le village a retrouvé sa tranquillité, les hôtes partagent volontiers leurs connaissances artisanales comme le tissage, le travail du bambou, racontent leurs coutumes et traditions. Implantés dans ce village depuis 1985, la plupart des habitants parlent le thaï dont la charmante Maprang, une pimpante mère de famille Kayan, qui  fait partie d’un réseau de maisons d’hôtes. Elle, son mari et leurs trois filles accueillent avec bienveillance dans leur maison en bois sur pilotis les visiteurs à la recherche d’une autre forme de tourisme.

Maprang propose de vous faire découvrir son jardin potager à une vingtaine de minutes de marche du village. On y accède par un sentier en balcon le long de la rivière Paï. Elle y élève des cochons noirs bien nourris qui sont engraissés pour être sacrifiés lors des fêtes rituelles. Les porcelets sont d’abord nourris au tronc de bananiers découpés nous explique-t-elle. Situé sur un vaste terrain plat fertile au pied d’une forêt de teck, son jardin produit des haricots, du maïs, des papayes, des bananes, du tamarin. Maprang toujours souriante, nous offre des bananes succulentes, fait griller des épis de maïs.

Le soir de retour à la maison, nous écoutons Maprang nous raconter l’histoire de ce village. Comme les Karen, les Kayan originaire de Loikaw, la capitale de l’Etat Kayah au sud du lac Inle, ont fui les attaques de l’armée birmane. Réfugiés clandestins, les Kayan se sont déplacés de camp en camp au gré des combats avant que les autorités thaïlandaises ne leur propose un marché : vivre du tourisme en vendant des produits d’artisanat et en se laissant photographier. Certains ont choisi, après un long séjour dans des camps gérés par le HCR de partir vivre une nouvelle vie dans un pays-tiers comme aux Etats-Unis.

Citoyens de second rang, réfugiés politiques sans terre, les habitants de Huay Pu Keng ne se plaignent pourtant pas de leur statut. Leurs enfants sont scolarisés à l’école du village et, s’ils sont nés en Thaïlande comme la grande majorité, ils acquièrent  automatiquement la nationalité thaïe. Les soins sont gratuits, le tourisme et l’agriculture leur procurent un revenu décent et surtout comme nous l’ont répété Maprang et d’autres habitants « nous vivons dans un pays en paix ».

L’origine de la pratique ancestrale de porter des spirales en laiton se perd aux fonds des âges nous explique Maprang. Elles auraient bien aimé que ses trois filles perpétuent la tradition, mais étant scolarisées en Thaïlande, elles ont refusé. Maprang nous apprend qu’elle doit enlever ses spirales lorsque le médecin de l’hôpital de Mae Hong son le lui demande, notamment pour les opérations chirurgicales et pour passer un scanner. Dans ce cas, elle passe une serviette autour de cou nouée sur la tête, car les muscles du cou n’étant plus soutenu par les spirales tel une minerve permanente, se sont atrophiés. Tous les 2 ou 3 ans, la spirale en laiton est substituée par une autre, plus longue, plus large mais aussi plus lourde. Cette « prouesse » est rendue possible par la disposition particulière des anneaux, qui reposent non pas sur les os du cou, mais sur les vertèbres et les côtes de la femme girafe. Une copie d’une radiographie affichée dans la rue principale du village montre les côtes affaissées d’une femme-girafe qui ont entrainé un allongement du cou. Les spirales peuvent peser plusieurs kilos.

Nous rencontrons Aye Maung, un jeune Kayan anglophone servant de coordinateur et de guide pour l’ONG Fair tourism. Pour mieux comprendre leur culture, il nous propose d’aller à pied jusqu’au sanctuaire animiste à l’orée du village. Une rangée de mâts est plantée sur un promontoire au sommet desquels règne l’esprit tutélaire le talu. Chaque année en mars un rite se perpétue : l’abattage d’un arbre en forêt mais pas n’importe quel arbre nous explique notre guide. Il s’agit du jamerosier, transporté avec vénération par des hommes de la forêt au sanctuaire (les femmes ne peuvent pas y toucher). Le nouveau siège de l’esprit est érigé aux côtés des mâts des années précédentes. Voyant notre intérêt, Aye Maung nous montre une vidéo sur son portable. Sur le parcours de la procession accompagnée de musiciens, des femmes aspergent le tronc d’eau trempée dans une gousse d’acacia concinna plante aux vertus purificatrices réputée chasser le mauvais sort. Dans la maison communale adjacente au sanctuaire, des photos montrent un chaman pratiquant la divination dans des os de poulets. Il interroge les esprits sur l’avenir. Les récoltes seront-elles abondantes ? Le village sera-t-il prospère ? Sur l’estrade, un modèle réduit de la couronne qui chapeaute le mât tutélaire est chargé de symboles en bois sculptés en miniature. Aye Maung nous en détaille leur signification. La lune et le soleil (pourvoyeur de lumière) sont vénérés au même titre que le sanglier représenté par des canines. Cet animal est lié à l’eau, car selon les Kayan, le sanglier sait où trouver l’eau. En lui vouant un culte, l’eau indispensable à la vie, sera abondante.

Article écrit par Daniel Gerbault 2024