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Eléphant blanc

C’est à partir du VIIIe siècle (empires Pallava et Chola) de l’Inde du sud que le culte de l’éléphant blanc se répand en Asie du Sud-Est. En se convertissant au bouddhisme, l’Indonésie, le Cambodge et la Thaïlande adaptent en effet l’essentiel du cérémonial de cour hindou. Or, rois bouddhistes et hindous étaient, en Inde, prêts à presque toutes les folies pour la possession d’un éléphant blanc conférant seul, à leurs yeux, le prestige suprême. Dans les vies antérieurs de Bouddha (jataka), les récits abondent où l’on voit le Bouddha, dans une vie antérieure, apparaître sous la forme d’un éléphant, généralement blanc. Et c’est précisément d’un éléphant blanc que rêva Maya Dévi, la mère du Bouddha, avant de tomber enceinte.

La reine venait à peine de s’assoupir dans son palais qu’elle vit, dans son rêve, quatre rois transportant son lit au pied de l’Himalaya. Là, quatre reines apparurent à leur tour qui la conduisirent vers un lac. Elles baignèrent soigneusement la reine, la revêtirent de somptueuses tuniques et la couvrirent de parures, avant de la mener jusqu’à un palais d’or juché au sommet d’une montagne d’argent. Là, les quatre reines allongèrent Maya Dévi sur une couche. Descendu d’une montagne, le Bodhisattva apparut sous la forme d’un éléphant blanc tenant dans sa trompe une fleur de lotus. L’éléphant fit trois fois le tour du lit de la reine et frappa doucement son flanc droit de sa trompe. Le lendemain, lorsque Maya Dévi raconta son rêve a son époux, celui-ci interrogea les astrologues. «  N’ayez crainte, répondirent-ils. La reine a conçu et vous aurez un fils. S’il demeure au palais, il deviendra un monarque universel. Mais s’il quitte sa demeure pour aller de par le monde, alors il deviendra un Bouddha capable de dissiper l’ignorance ».

Au chapitre de l’éléphant blanc, l’histoire de l’Asie est donc pleine de passion, de fureur et de démesure. En 1586, le roi de Pegu (Birmanie) qui porte d’ailleurs le titre de « Roi des éléphants blancs » est prêt à tout pour ajouter un seul animal à son cheptel. « Si tout autre monarque possède un éléphant de ce genre et manque de le lui offrir, il lui fera la guerre pour l’acquérir car il préfère perdre une partie de son royaume plutôt que de ne pas conquérir cet éléphant » explique un Anglais du nom de Fitch.

Qu’entend-on par éléphant blanc ? Si, pour un zoologue, l’éléphant blanc n’est qu’un albinos, la réponse a toujours été d’une complexité extrême pour les cours asiatiques. Tout d’abord, il n’existe pas d’éléphant blanc comme neige : les éléphants les plus blancs ont toujours tiré vers le gris souris clair. En réalité, les critères sont innombrables et les textes sur le sujet abondent. Les polémiques aussi.

Les experts royaux, en Birmanie par exemple, ont toujours retenu deux critères comme absolument déterminants. Le premier est le nombre d’orteils des pattes postérieures : quatre pour un éléphant ordinaire, cinq chez l’éléphant blanc. Il arrive malheureusement, que des éléphants tout à fait gris possèdent, eux aussi, cinq ongles aux pattes postérieures. «Il s’agit dans ce cas, pour les Birmans, d’éléphants noirs, en raison des péchés commis dans des vies antérieures » explique le spécialiste birman U Toke Gale.

Le second critère ne prête pas davantage à discussion : lorsqu’on verse de l’eau sur un authentique éléphant blanc, les experts birmans affirment qu’il devient rouge. L’éléphant ordinaire, lui, est encore plus gris mouillé que sec. La couleur de l’œil, elle non plus, ne trompe pas : un éléphant blanc doit avoir l’iris jaune et un anneau extérieur rouge.

En se basant sur les récits de l’époque, U Toke Gale qui dirigea une exploitation forestière en Birmanie décrit aussi le luxe incroyable que l’on déployait encore au XIXe siècle, en l’honneur d’un éléphant blanc à la cour de Birmanie. En mars 1806, pour escorter un éléphant nouvellement capturé jusqu’à la capitale Amarapura (située près de Mandalay), le roi Bodawpaya, pour le transport de l’animal sur le fleuve Irrawady, dépêcha une barge royale recouverte d’or fin. Des troupes de danseurs et de musiciens escortaient l’embarcation. A chaque arrêt, une foule d’adorateurs se pressait sur les berges. A proximité de Mandalay, un palais temporaire fut dressé pour recevoir l’animal et laisser les astrologues officiels le temps de déterminer quelle devait être la date exacte de son entrée dans la capitale. Le palais temporaire, couronné de tours dorées, comportait cinq étages où abondaient rubis et pierres précieuses. Un pilier massif en teck avait été profondément enfoncé dans le sol pour simplement permettre à l’éléphant de se gratter le dos. Le long des allées menant de ce palais provisoire au fleuve avaient été transplantés à la hâte bananiers et pieds de canne à sucre afin que l’éléphant puisse se nourrir à volonté.

On trouve chez sur James George Scott une description minutieuse du cérémonial entourant l’éléphant blanc à la cour du roi Mindon a Mandalay. Nous sommes alors en 1882 et l’auteur rapporte notamment les détails suivants : le jeune éléphant blanc que vit sir James était allaitée par des femmes. Celles-ci formaient, chaque jour, de longues queues à l’entrée du palais, considérant le don qu’elles s’apprêtaient à faire comme un honneur suprême. Le pachyderme ayant reçu une province en don, le ministre était notamment chargé de percevoir les revenus de celle-ci afin de pourvoir aux besoins de l’éléphant.

Des troupes de danseuses et de chanteuses se produisaient régulièrement pour distraire l’animal. Lorsque l’animal mourrait, il était interdit de mentionner directement la nouvelle.

A la même époque la Thaïlande voisine ne le cédait en rien à la Birmanie et l’on conservait encore une mémoire très vive des treize éléphants que possédait la cour à la fin du XIXe siècle. L’un de ces animaux capturé en 1812 portait le titre royal suivant : Phraya Svetr Kunjara Adhisorn Prasert Shaki Pheuk ExAkhairaya Magala Bhahana Nart Boroma Raj Chakrapat Vichien Ratana Kendr Chatghachen Hiranyarasmi Sri Phra Nagara Sunthornlaksana lertfa.

Une fois par mois, le ministre chargé de la garde des treize éléphants royaux était tenu de faire un rapport complet sur l’état de santé de ses protégés. Les douze autres animaux possédaient autant de titres et il était d’usage de les mentionner intégralement.

Extrait du livre « Tombeau de l’éléphant d’Asie » Gérard Busquet – Jean-Marie Javron. Les éditions Chandeigne 2002.

 

 

 

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